samedi 26 février 2011

Face aux démons, extrait n°5

Voici donc Néalanne de retour à Havredoux où elle doit bien subsister.Endossant à nouveau l'identité de Jolasne de Solfon, la pauvre veuve borênane coincée et larmoyante (mais une Jolasne de Solfon devenue pauvre comme job), elle trouve un emploi de dame de compagnie de la jeune fille d'une usurière pleine aux as.
Et de façon un peu inattendue, elle va à nouveau croiser la route des Edrulains.


Il ne me fallut pas dix minutes pour haïr Dame Sornelle. Elle joignait la prétention que donne une fortune trop vite amassée à la vulgarité inhérente à l’appât du gain. Je lui donnai une cinquantaine d’années, estimation difficile au vu de l’épaisse couche de fard dont elle devait user pour masquer ses rides.
— Vous pouvez me faire confiance, madame, je sais comment agir avec ce genre de petite impertinente, lui répondis-je une fois qu’elle m’eut conté les mille façons dont usait sa fille pour envoyer paître tous les prétendants –excellents partis au demeurant– qu’elle s’obstinait à lui présenter.
La jeune Denelfe ne fit pas vraiment bon accueil sans toutefois se montrer impolie. Ni la poésie, ni la littérature, ni la broderie, ni les bijoux, ni les toilettes, ni les parfums, ni les propositions de promenade, ni les cancans et persiflages innombrables en cette cité dominée par la gent féminine ne semblaient l’intéresser. La bibliothèque de sa mère recelait pourtant des trésors qui, au vu de l’épaisse couche de poussière qui les recouvrait, ne devaient pas avoir été ouverts depuis des lustres.
— C’est mon père qui aimait les livres, lâcha la jeune dame quand elle me vit passer un doigt sur la tranche de ceux-ci. Ma mère n’aime que l’argent.
— Ne jugez pas votre mère trop durement. Vous êtes à un âge difficile.
— Elle veut me marier pour se débarrasser de moi.
— Elle ne veut que votre bonheur.
— Pfffff ! Elle songe à une alliance avec une vieilles familles d’Havredoux, qui lui ouvrira les portes des salons où elle pourra mener des affaires encore plus lucratives que celles qu’elle fait aujourd’hui.
— L’argent qu’elle gagne vous permet de vivre loin, très loin, du besoin.
— Que m’importe l’or !
— C’est généralement ce qu’on dit quand on en possède en nombre suffisant. Si vous aviez, comme moi, connu la faim, la crasse, la peur et le froid, vous ne diriez pas cela.
— Racontez-moi, lâcha t’elle, les yeux brillants.
Je m’imaginai mal lui dire combien de fois il fallut me cacher des Verougues ou seigneurs de guerre sur Borêne, la peur au ventre et l’estomac vide. Je me contentai de lui servir les sornettes habituelles : L’époux tendrement chéri tué par un assassin, la fuite désespérée dans la nuit sans une seule robe de rechange, les longues marches pieds nus sur les chemins boueux dans les plaines battues par les vents glacials. Aux larmes qui perlèrent dans ses yeux –forts charmants, au demeurant–, je suis que je mentais toujours aussi bien et m’en trouvai fort ravie.
Dans ce domaine, son talent était par contre à mille lieues du mien et je ne crus pas un mot quand elle prétexta une soudaine fatigue à l’issue du déjeuner, délicieux, qu’on nous servit.
— Je suis lasse, Jolasne. Je crois que j’apprécierai une petite sieste. Pourrions-nous nous retrouver dans deux heures ?
— Deux heures ? Cela me semble fort long pour une petite sieste.
— Je tombe de sommeil, lâcha t’elle en mimant (fort mal) de bailler
— Allez donc.
L’empressement avec lequel elle se leva me confirma qu’il y avait anguille sous roche. Je patientai une demi-heure avant de laisser mes chaussures au pied de l’escalier qui menait à sa chambre, de le monter silencieusement et de coller mon oreille à sa porte.
— Oooooooooooooo oui, Beldo, oui, encore, plus fort, c’est si bon !
— Oui, ma douce, tu es si belle, lui répondit une mâle voix avec un accent libreterran à couper au couteau.
Je constatai que la jeune Denelfe appréciait avait une approche de la sieste tout à fait conforme à la mienne. J’ouvris la porte tout doucement. Le dais diu lit me masquait la scène. Parmi les vêtements qui parsemaient le sol de la pièce, je notai un superbe manteau edrulain. Je le ramassai et examinai les runes brodées près du col : courage, loyauté, discrétion, altruisme, bonté.
— Pour l’altruisme, ca va, je crois, au moins envers les jeunes filles. Mais pou la discrétion, c’est assez raté, je crains, proférai-je à voix haute, en libreterran.
Le silence se fit. En une seconde, j’approchai du lit et écartai le tissu brodé. Denelfe, à quatre pattes, subissait les aimables assauts d’un superbe et tout jeune homme placé derrière elle. Personnellement, je ne goûte guère à cette position car j’aime voir les yeux de mon amant. La petite donzelle ne semblait pas partager cet avis.
— L’idée de bloquer la porte ne t’a même pas effleuré, jeune couillon ? Mais qu’a-t-on appris à la Tour ?
Ils restaient tous deux silencieux, honteux et confus. Je me retournai, pris une chaise, remontai ma robe et m’assis à califourchon. Toujours en libreterran, j’interrogeai le bel amant.
— Tu le fais ça pour la Confrérie ou pour le plaisir ?
— …
— N’essaie pas de me servir un mensonge. J’ai quelques talents pour m’en rendre compte.
Ceux qui n’ont pas le don sont parfaitement incapables de fermer leur esprit. Y lire quoi que ce soit n’était plus à ma portée mais il ne pouvait le savoir.
— Je… J’aime Denelfe, Dame.
— Tu peux m’appeler Sœur, petit con. Imagine un seul instant le bordel que ton envie de te vider les précieuses pourrait provoquer si on te découvrait.
Denelfe, masquant sa nudité derrière un oreiller, pleurait désormais à chaudes larmes.
— Dame Jolasne, par pitié, ne dites rien à ma mère ! Elle serait capable de m’envoyer dans un couvent des sœurs de l’Unique !
— Que Lokar me foudroie si je permets cela, petite. Bon, on va causer, tous les trois, lâchai-je en Borênan. Je pense que tu me comprends quand je parle ainsi, mon bon Beldo ?
— Oui.
— Parfait. Tu as au moins retenu quelque chose des leçons qu’on t’a données ! Par contre, tu as du apprendre à te glisser au milieu d'un camp ennemi sans que la plus habile des sentinelles ne te repère. Ne crois-tu pas que le moment est venu de te servir de ce genre de talent ?
— Si.
— Bon.
Je me tournai vers elle.
— Toi, ma belle, il est impératif que tu apprennes une chose : L'important n'est pas ce que tu fais, l'important est ce que les gens croient que tu fais. Je vais donc t'enseigner deux choses indispensables à ton bonheur, à la tranquillité de ta pauvre mère et surtout au maintien de mon emploi : La première est la discrétion, la seconde, le mensonge…

3 commentaires:

Olivier Jourdan a dit…

Encore un extrait fort agréable à lire ;)

Agnès Marot a dit…

" Toi, ma belle, il est impératif que tu apprennes une chose : L'important n'est pas ce que tu fais, l'important est ce que les gens croient que tu fais. Je vais donc t'enseigner deux choses indispensables à ton bonheur, à la tranquillité de ta pauvre mère et surtout au maintien de mon emploi : La première est la discrétion, la seconde, le mensonge…"

^^ J'adore, c'est vraiment savoureux ! (j'avais oublié de poster la dernière fois alors je rattrape mon retard). Go go go !

New Haven Cleaners a dit…

This is a great blog