Sire Loran affichait un sourire sinistre, comme celui que j'avais vu sur son visage lors de la bataille des Monts Noirs, quand nous avions su si bien mettre en déroute et occire jusqu'au dernier un fort parti Sangrelin.
" Vous allez garder votre charge d'intendant. Et nous remettre les pierres précieuses qui dorment dans le double fond du coffre de chêne où vous rangez votre linge sale dans le grenier de votre demeure d'été. Je vais vous faire accompagner par quelques uns de mes hommes, pour m'assurer que vous n'en oubliez pas une seule. Ne dites rien, Jossum. N'accroissez pas votre discrédit. Je serais trop heureux de vous passer ma fidèle épée au travers de votre bedaine, comme je le ferais demain si vous osez détourner encore une seule piécette des dons de nos pauvres pèlerins. Sur ce, messieurs, je vous quitte et vous laisse avec Johah de Virlombe et Honorin de Mesline, mes fidèles lieutenants qui attendent derrière cette porte et vous accompagneront là où je vous demande d'aller. Moi, j'ai à faire... Viens, mon écuyer ! "
Je suivis mon maitre jusqu'à sa modeste chambre à la caserne. Là, il se défit de son grand manteau blanc, sortit d'un coffre deux longues capes noires munies d'un ample capuchon et m'en tendit une.
" Maitre, où allons nous ?
- Fais silence, jeune homme. Il est temps pour toi d'apprendre que nos plus belles victoires se gagnent parfois en laissant l'épée au fourreau "
Nous sortîmes de la caserne par une porte dérobée et nous dirigeâmes vers la sortie nord de la ville. La porte était gardée par des frères de l'ordre qui nous laissèrent passer sans nous arrêter. La lune était pleine et nous marchâmes une bonne heure pour atteindre une plage. Là, assise sur un rocher, une dame revêtue d'un grand manteau blanc semblait nous attendre.
Parrot fit glisser son capuchon, découvrant ainsi son visage, m'invita d'un geste à faire de même et s'approcha de la dame. Elle était blonde avec un beau visage lumineux. Elle adressa à mon maitre un doux sourire, celui de quelqu'un qui retrouve un vieil ami.
" Bonsoir, Loran
- Je suis hélas au regret de vous informer que le grand cardinal n'est plus. Il n'a pas supporté l'exposition de ses vices devant deux de ses conseillers. Son coeur était aussi fragile que vous me l'aviez dit
- N'importe qui absorbe un mélange d'éphéline et de koselte a le coeur fragile.
- Quand à ces maudits chiens corrompus, ils n'ont même pas essayé de protester. Vos informations étaient précises, Néalanne. Une fois de plus...
- Vous en ai-je donné un jour une qui soit inexacte ?
- Pas une seule fois, chère amie. Le temps qu'ils élisent un nouveau grand cardinal, je vais enfin avoir les mains libres pour mener mes preux sur Sombrerive.
- Je m'en réjouis.
- Si vos amis sont encore vivants, je les retrouverais.
- Ils le sont. Même les sangrelins ne sont pas assez stupides pour laisser mourir un maitre edrulain, pour une fois qu'ils en tiennent un prisonnier. Il vaut trop cher à leurs yeux "
La dame sourit. Elle se leva et s'approcha de moi.
" Qui est ce jeune homme, Loran ?
- Yordenn, mon écuyer. Il vient de Mina Roka "
En un geste très doux, elle me caressa la joue de son index.
" Tu es très beau, Yordenn. As-tu prononcé vos voeux ? "
Je me sentis rougir. Les yeux et le sourire de cette diablesse étaient magnifiques et semblaient me promettre mille délices que ma condition de templier m'interdisait même d'imaginer.
" Oui, Madame " réussis-je à articuler
Elle leva les yeux au ciel et soupira.
"Quel gâchis ! " dit-elle en souriant. A son tour, mon maitre éclata de rire.
" Néalanne, vous êtes décidément incorrigible !
- Oui, mon ami "
Son visage se fit soudain grave et triste. Il n'en était que plus beau.
" Vous les ramènerez, Loran, n'est-ce pas ? Vous ferez tout ce qu'il est humainement possible de faire, et même plus ?
- Sur ma vie et sur mon honneur, Néalanne
- A bientôt, mon cher ami. Prenez soin de vous.
- Que l'Unique vous protège et vous bénisse, Néalanne"
Elle se retourna, face aux rochers. Elle étendit les bras et, d'une voix forte, appela "Volfeu !".
La lune nous fut soudain masquée tant qu'une odeur acre envahit nos narines. Une gigantesque créature, mi-oiseau, mi-reptile, surgit on ne sait d'où et se posa sur la plage. Une peur panique m'envahit. Je reculai et la poigne d'acier de mon maitre se referma sur mon poignet. A mots couverts, il me souffla à l'oreille
" Tu n'as rien à craindre tant que tu ne fais pas l'imbécile"
A l'endroit où son cou, plus épais qu'un chêne centenaire, rejoignait son torse, une sorte de selle était installée. La dame s'y installa.
" Nous nous retrouverons sur Sombrerive, Loran "
Le dragon s'envola. En quelques battement d'ailes, rapide comme un faucon, il ne fut plus qu'un point filant sur l'océan.
" Personne ne me croira jamais " dis-je, interdit
" Et personne n'aura à le faire, jeune templier, car tu vas garder ta langue. Viens, Sombrerive nous attend !" dit mon maitre en se retournant vers la ville
Critique littéraire de Comme un petit coquelicot, mon ange
Il y a 4 jours
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire